Page 10 - Nouvelles grecques - Nouvelles antiques
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sont grotesques. Le vin reflue des estomacs ; il
est recraché sur le sol. Les danseurs ont le teint
cireux ; ils n’en peuvent plus ; ils vont mourir…
Silencieux, les guerriers observent. Certains
lâchent un rire ostensible. Mais la plupart
demeurent sévères, le visage haineux, méprisant.
Lichas a des sueurs froides.
D’étranges pensées courent dans sa tête :
Tes lèvres au goût de miel, je les embrasse de toutes
mes forces, tu défailles dans mes bras, je te serre, le
plaisir nous rend ivres, je ris, nous tombons les deux
à la renverse dans l’herbe fraîche du crépuscule, le
soleil sous la mer s’en va, nous laisse, gentil soleil
attentionné, si délicat, si bon, si pâle comparé à toi
car tu brilles au-dedans de moi, ton corps est le centre
du monde, nous nous levons, nous cheminons ta
main qui se mêle à ma main, le vent qui caresse nos
chevilles, la plante de nos pieds c’est la terre qui nous
voit doucement monter, tu m’enlaces, tes bras, ta
peau lisse, ton cœur bat la mesure du monde, clep-
sydre de mon existence, tu ris, nous rions, c’est la
joie, la joie qui grossit, qui s’élève, envahit, immense,
toute la baie, embaume les fleurs, les arbres, les
choses…
– Je n’ai pas vu le coup venir. J’avais du sable
dans les yeux. Il m’en avait lancé une pleine poi-
gnée au moment où j’avais foncé sur lui… Alors
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