Page 97 - Nouvelles égyptiennes - Nouvelles antiques
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Neith va sangloter, se reprend ; il faut savoir, il
faut savoir…
Elle sort du harem comme une ombre – à part
quelques prêtres absorbés par le culte perpé-
tuel d’Hathor, le temple entier est endormi –,
se retrouve dans les rues désertes, murmure
aux fantômes qui divaguent : « Babylonia ?
Babylonia ? » ; ils la dévisagent, ils rigolent, ils
lui indiquent, veulent la toucher ; elle s’enfuit,
elle est déjà loin, s’enfonce dans les lieux inter-
lopes, aperçoit les flammes aux fenêtres, entend
les tambourins qui claquent, hésite une dernière
fois, s’engouffre…
Des odeurs capiteuses l’assaillent, embrument
les images dans ses yeux : des femmes, leurs visages
obscènes, leurs rires, leurs corps boursouflés, les
colliers de fleurs à leur cou, leurs ongles noirs,
les tatouages qui couvrent leurs cuisses, elles
caressent des rustres qui hurlent, chancellent,
s’écroulent ; les gobelets de bière fracassés, le vin
doux, les coussins, les lits. Neith se réfugie dans
un coin, veut que cet enfer disparaisse ; elle ferme
les yeux, se reprend, les ouvrent grand et regarde
tout : une femme vêtue d’un seul collier agite
les cordes de sa lyre en offrant sa bouche à qui
veut, une autre retire sa perruque sous les yeux
lubriques d’un vieillard, une autre…
Il est là.
Son sang s’est glacé.
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