Page 93 - Nouvelles égyptiennes - Nouvelles antiques
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elle les remarquait à peine ; leurs mots fusaient,
courts, réguliers ; ils parlaient sans se regarder,
absorbés chacun par sa tâche ; mais entre eux les
outils passaient : burins, maillets, herminettes.
Parfois, Mipou se retournait : il avait le torse
ruisselant ; ses lèvres faisaient un sourire ; des
fleurs s’envolaient de sa bouche, tendres, légères,
imperceptibles ; des fleurs qu’elle seule percevait.
Et son cœur battait à tout rompre.
– Neith, ma gazelle, s’il te plaît, va me chercher
mon polissoir.
Il vient de parler, elle se lève.
Elle va, ses petits pieds frôlant le sol, entre dans polissoir
la pièce attenante – les paniers sont en rang par
terre –, se penche sur celui de son homme, sou-
lève le couvercle d’osier, insère le bras jusqu’à
l’épaule, palpe les outils amassés ; elle sourit : ses
doigts ont senti la longue pierre plate du polis-
soir ; elle le soulève délicatement ; quelque chose
est posé dessus : c’est un ostracon, qu’elle saisit ;
sur ce bout de calcaire, un dessin.
Elle frémit.
Une femme ; elle est allongée par terre ; elle
est nue, les jambes écartées ; il y a du vin, de la
bière, des jarres, des hommes qui ressemblent à panier
des singes ; ils vont vers cette femme en riant ; en
haut, un nom : « Babylonia ».
Elle ne comprend pas, elle chancelle, les paroles
de son père reviennent ; elle hésite, regarde les
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